La sève coule toujours

La cosmologie autour du concept de “soan” a été tiré du livre Les populations montagnardes du Sud-Indochinois, écrit par Jacques Dournes, un missionnaire-ethnographe chrétien, dont la traduction est largement répandue au Vietnam. Dournes a dédié le dernier chapitre du livre, “L’âme et les songes,”aux légendes, contes et discussions portant sur la croyance des montagnards du centre qui perçoivent toute formes visibles comme l’images (rup) d’esprits invisibles (soan). Le livre a été traduit en vietnamien par Nguyên Ngọc sous le titre de Miền Đất Huyền Ảo, soit Terres magiques en français.

L’exposition La Sève Coule Toujours, organisée par Sàn Art et l’Institut français du Vietnam, réunit l’écriture poétique du duo formé par Freddy Nadolny Poustochkine et Trương Công Tùng.

Auteur de bande-dessinée et collaborateur d’Art Labor Collective, Freddy Nadolny Poustochkine présente une série de carnets d’études à la gouache réalisées lors de ses pérégrinations à Ho Chi Minh-ville, et deux vidéos distinctes au nom générique Journal : l’une issue de fragments de ses Carnets de notes et l’autre de séquences tournées dans la région du DakLak. Paysages appelant l’onirisme, des visages et des histoires, l’intime dans tout, une mémoire en conurbation qui tisse des liens, et cela depuis des années. Freddy Nadolny Poustochkine nourrit son Journal au fil des ses séjours au Vietnam et plus récemment lors de sa résidence à la Villa Saigon.

Dans un dialogue de rêve métaphysique avec Freddy Nadolny Poustochkine, Trương Công Tùng présente une installation composée d’une variété de médias allant de la collecte d’organismes qu’il s’approprie ou archive – une racine d’arbre calcinée, un chapelet en perles de bois, une séquence filmée d’ailes d’insectes fantomatiques – à un texte ethnographique portant sur les croyances des minorités de la région des Hauts-Plateaux du Centre du Vietnam.
En recueillant et associant patiemment ces différents matériaux collectés, l’artiste nous expose la fragilité de la forêt confrontée depuis l’époque coloniale et d’autant plus aujourd’hui, à son exploitation massive et incessante et nous fait reconsidérer cette notion qu’est l’éphémérité.

La Sève coule toujours tire son inspiration conceptuelle d’un pin coupé dans les Cévennes dont la base ne pouvait s’arrêter de suinter et d’une série d’images documentant la coupe franche de tous les arbres de la rue Tôn Đức Thắng à Ho Chi Minh-Ville. Ces évènements, auxquels Freddy Nadolny Poustochkine a été confronté, trouvent sa résonnance vitale dans la vision d’arbres à caoutchouc dévalorisés et tronqués en masse dans les Hauts Plateaux. Il prend connaissance de ce phénomène cyclique à travers la pratique de Trương Công Tùng qui récupère les cadavres d’arbres dans la province de Jarai au Vietnam pour les transformer en œuvres d’art. Alors que des forêts verticales sont réduites à des corps amputés au sol, la sève, porteur de l’esprit ou du soan de l’arbre, continue à se déverser et à imprégner l’environnement, cette fois-ci sous forme de créations et de gestes incorporés à l’espace d’exposition, tel un appareil médiateur séparé des terrains reculés où l’artiste a témoigné pour la première fois leurs propres scènes de déracinement.

INFORMATIONS PRATIQUES