Hoang Thi Minh Hong, directrice de l’ONG CHANGE

Hoang Thi Minh Hong me reçoit dans son bureau à Hô Chi Minh Ville. L’entretien se déroule en anglais. Hong a peu de temps à me consacrer. C’est une femme très active et totalement impliquée dans les causes environnementales qu’elle défend. Elle fait partie de la première promotion de douze personnalités de la société civile sélectionnées à travers le monde par la fondation Obama en 2018-2019.

« Je suis née sous les bombardements à Hanoi en 1972. Ma mère a dû être évacuée dans un abri souterrain pour me donner la vie.
J’étais une petite fille très dynamique et active. J’ai rejoint une troupe de théâtre à l’âge de 9 ans. Ça m’a donné l’occasion de voyager à travers le Vietnam ce qui était très rare à ce moment-là. A 13 ans, je suis partie en URSS participer à un festival de la jeunesse qui réunissait des adolescents et des étudiants du monde entier. J’ai été sélectionnée parce que je parlais russe et que j’étais très active.

Je suis une personne très sociable. J’aime partager, échanger. J’aime les autres. Dans mon enfance, les parents vietnamiens avaient peur de tout et surprotégeaient leurs enfants. Ils leur interdisaient de sortir. Mais moi, j’étais très indépendante. Dès l’âge de six ans, je me débrouillais seule.

Mes parents m’ont convaincue d’aller à l’Université des langues étrangères où j’ai suivi des cours de russe. L’URSS était un pays privilégié dans les échanges avec le Vietnam. Puis, j’ai enchaîné avec des cours d’anglais. J’ai ainsi étudié les deux langues pendant cinq ans. En 1991, je m’apprêtais à partir étudier pendant neuf mois en URSS lorsque nous avons appris sa chute ; mon voyage était annulé. Au Vietnam, c’était l’incompréhension totale. Comment une telle puissance pouvait-elle s’effondrer ?

En quittant l’Université en 1994, j’ai travaillé pour le département marketing du Vietnam Investment Rewiew. C’était le premier journal économique du pays, lancé en 1991 sous la direction du ministère de l’Investissement. J’ai connu beaucoup de journalistes à ce moment-là. Je les accompagnais souvent et j’ai beaucoup appris. Notamment à comprendre les différences entre un pays socialiste et un pays capitaliste. Je côtoyais des Américains, des Australiens, beaucoup d’étrangers. J’avais l’opportunité de voyager.
Dans les années 90, le Vietnam a ouvert son marché aux investissements étrangers. En 1995, il est devenu membre de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) puis de l’APEC (Coopération économique Asie-Pacifique) en 1998. Il passait de la pauvreté extrême à une croissance économique de plus en plus soutenue.

En 1996, un ancien ami de la troupe de théâtre de mon enfance m’a contactée pour participer à un projet incroyable : partir en expédition en Antarctique avec des jeunes de 17 à 24 ans provenant de 25 pays. Un projet initié par le britannique Robert Swan, le premier homme dans l’histoire de l’humanité à avoir atteint les deux pôles, Nord et Sud, à pied sans assistance technique. Il avait déjà conscience des problèmes majeurs qu’engendrait le réchauffement climatique. J’ai participé à la compétition pour faire partie de ce projet et j’ai été retenue. J’étais la seule Vietnamienne de l’expédition.

Vous imaginez, du Vietnam à l’Antarctique ! Je venais d’un pays où on ne savait même pas ce que c’était le camping, monter une tente ; je n’ai jamais vu la neige. Les activités de plein air n’existaient pas. J’avais tout à apprendre. Mais je n’avais peur de rien. Nous nous sommes tous retrouvés en Argentine, à Ushuaïa, pour nous entraîner pendant plus de deux semaines à vivre dans un froid intense, apprendre à faire du feu en frottant deux bâtons, acquérir les bons réflexes de survie. Pour moi, c’était un défi considérable. Je ne savais pas à quoi m’attendre. Nous n’avions pas Internet, je ne savais rien de cette région du monde.

Nous sommes partis en 1997 pour rejoindre l’Antarctique. C’était une expédition extraordinaire mais aussi une expérience difficile. Nous avons embarqué sur un brise-glace russe. C’était la première fois qu’une telle aventure polaire était organisée avec des jeunes inexpérimentés. Nous n’avions pas été sélectionnés sur nos résultats à l’école. Mais davantage pour notre personnalité et notre motivation.
Je n’avais aucune idée de ce que signifiait le réchauffement climatique et ses conséquences désastreuses. Là-bas, j’ai constaté la fonte des glaces. Nous étions accompagnés de plusieurs scientifiques qui nous ont expliqué le phénomène de la montée des eaux et le lien avec nos pays respectifs. Et notamment avec le Vietnam. Je découvrais un environnement totalement sauvage, l’air était si pur. Aucune pollution. C’était magnifique. Et c’est dans ce contexte que nous avons compris qu’il fallait protéger notre terre et la vie sauvage. J’ai eu la chance de rencontrer Robert Swan, une personnalité très inspirante. Il m’a convaincue de faire de cette planète un monde meilleur. Auparavant, c’était totalement abstrait pour moi. C’est devenu très clair dans ma tête grâce à cette expédition. Nous devions nous impliquer tous. La protection de l’environnement n’est pas réservée à une élite. Elle nous concerne tous et nous avons chacun notre rôle à jouer.
Ce voyage a complètement bouleversé mes paradigmes. Plus rien ne serait comme avant.

Je me sentais investie d’une mission très importante. A mon retour, je suis devenue une célébrité ! J’avais posé en ao-dai avec le drapeau vietnamien en Antarctique. La photo a fait le tour des journaux au Vietnam.
J’ai quitté mon job au journal. J’ai recherché une organisation de protection de l’environnement au Vietnam mais je n’ai pas trouvé. Je suis partie vivre à Hô Chi Minh Ville. A cette époque-là, quelques centaines de personnes seulement disposaient d’Internet ; il était difficile de se connecter et c’était surtout très cher. J’ai cherché à entrer en contact avec ces personnes influentes et j’ai réalisé 50 entretiens pendant deux ans afin de les sensibiliser aux conséquences du réchauffement climatique mais surtout à la protection de l’environnement, de la faune et de la flore. J’essayais de mobiliser les jeunes pour nettoyer les plages notamment. Parallèlement, je travaillais comme traductrice pour gagner ma vie.
L’année suivante, six membres de l’expédition sont venus au Vietnam et nous avons entamé une campagne de sensibilisation dans les écoles et les universités notamment. J’ai utilisé mon réseau de journalistes et nous avons eu un certain impact. De plus en plus de jeunes volontaires cherchaient à me contacter pour s’engager.
J’ai ensuite travaillé pour une ONG internationale dont les actions étaient destinées à réduire la pauvreté et lutter contre la famine dans le monde. En 2002, je me suis rendue en Afrique du Sud à l’invitation de Robert Swan pour participer à un sommet international sur le développement durable. J’y ai retrouvé beaucoup d’amis, anciens membres de l’expédition.

A mon retour, j’ai rejoint le WWF (Fonds mondial pour la nature), pour lequel j’étais responsable de la communication pendant sept ans. J’étais basée à Hanoi. Ils m’ont tout appris sur la vie sauvage, la protection de notre écosystème et des espèces les plus menacées. C’était très instructif, je pouvais justifier et argumenter avec des exemples très concrets. J’ai lancé des campagnes environnementales à travers le pays sous la direction du WWF.

En 2009, je suis revenue vivre à Hô Chi Minh Ville avec mon mari et mon fils. J’ai cherché à rejoindre une ONG environnementale. Sans succès. Ça n’existait pas ! La même année, je suis retournée en Antarctique avec des Vietnamiens, hommes d’affaires ou personnages influents, qui devaient financer leur expédition. Il fallait leur faire prendre conscience qu’il était temps d’agir.

En 2013, j’ai décidé de créer ma propre ONG : CHANGE (Centre of Hands-On and Networking for Grouth and Environment). Nous avons choisi de travailler sur l’environnement en nous concentrant sur la préservation des espèces animales en danger, l’impact du changement climatique et le développement durable. Nous avons ouvert un bureau à Hô Chi Minh Ville et travaillons en collaboration avec l’ONG américaine Wild Aid. Nous avons axé nos campagnes autour de la protection de trois animaux les plus menacés : les pangolins, les rhinocéros et les éléphants. En Chine et au Vietnam, on pense que les écailles du pangolin, utilisées dans la médecine traditionnelle, ont des propriétés curatives. L’animal est aussi recherché pour sa viande et l’espèce est aujourd’hui en voie d’extinction en Asie et en Afrique.
Quant aux rhinocéros, c’est leur corne, transformée en poudre, qui est très prisée en Asie. Les Vietnamiens pensent qu’elle peut guérir le cancer et qu’elle a des vertus aphrodisiaques. La demande au Vietnam a littéralement fait exploser le trafic de corne de rhinocéros depuis une dizaine d’années. Le braconnage des éléphants en Afrique est alimenté, lui, par la demande asiatique en ivoire utilisée dans l’ornementation et la confection de bijoux. Les défenses d’éléphants s’achètent une fortune.

Nos campagnes ont eu de l’impact, beaucoup de célébrités nous ont rejoints ainsi que des hommes d’affaires et des personnalités bouddhistes influentes. Nous travaillons avec de grandes agences de communication internationales qui mettent en place des campagnes très percutantes.

Notre cible ? La jeunesse. C’est le moment où tu apprends, tu es réceptif, tu n’es pas rigide. Ils ont envie de comprendre, ils sont ouverts. On ne délaisse pas les milieux ruraux, on a des volontaires dans les provinces. Je pense qu’une partie de la société civile est consciente du problème mais nous devons convaincre les décideurs du bien-fondé de nos actions.
Les hommes d’affaires commencent à prendre conscience de l’impact de la pollution de l’air dans nos villes. A Hanoi et à Hô Chi Minh Ville, on atteint parfois des taux de pollution considérables et Hanoi est de plus en plus montrée du doigt. Dans les entreprises étrangères implantées au Vietnam, la question peut être un frein à l’installation de certaines familles pour qui la qualité de vie est importante. D’où des difficultés de recrutement. En Inde, le problème existe. Des étrangers refusent de venir s’expatrier dans certaines villes à cause du niveau record de pollution atmosphérique.

Je passe beaucoup de temps à rechercher des fonds. Avec CHANGE, j’ai une équipe formidable derrière moi et des gens qui m’encouragent. En 2019, j’ai fait partie de la liste des 50 femmes vietnamiennes les plus influentes sélectionnées par le magazine FORBES.
Lorsque j’ai été choisie pour faire partie de la première promotion de la fondation Obama, cela m’a confortée dans mes choix. Pendant près d’un an, j’ai suivi des cours à L’Université Columbia de New-York. Nous étions 12 personnalités de nationalité différente, issues de la société civile et œuvrant pour différentes causes. Nous avons abordé de nombreux sujets à l’échelle de la planète et nous avons réalisé que tout était connecté.

Je perçois le changement des mentalités au Vietnam. Les réseaux sociaux sont un outil formidable de sensibilisation. Mais un long chemin reste encore à parcourir. »

Sabrina ROUILLÉ.

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