Mai et Thoa, deux ouvrières dans une usine de chaussures à Dong Nai
Nguyen Thi Mai et Vu Thi Hoai Thoa travaillent comme ouvrières dans une usine de chaussures Nike. Elles viennent toutes les deux du nord du Vietnam et se sont établies en famille à Dong Nai, l’une des zones économiques les plus attractives du pays. Cette usine compte plus de 7000 employés (dont quelque 6000 ouvriers).
Je les rencontre un dimanche matin, leur seul jour de congé dans la semaine. Entretien en vietnamien traduit par Huyen Dao.
Nguyen Thi Mai : « Je suis née à Ninh Binh, dans une famille de 5 enfants. J’ai 37 ans. Ma famille travaillait à la campagne. Mais nous avions des difficultés pour vivre décemment. A 18 ans, je suis partie dans le sud, hébergée par ma belle-famille. J’ai deux filles de 14 ans et 7 ans ; mon mari travaille également à l’usine Nike. Nous avons acheté un petit terrain et fait construire notre maison.
J’ai fait des études jusqu’au lycée, j’ai ensuite passé des concours pour rentrer à l’université lorsqu’un ami m’a parlé des conditions de travail avantageuses au sud. Quand je suis arrivée, j’ai d’abord travaillé dans un magasin qui vendait des bonsaïs. Je gagnais 16 000 VND/jour. J’ai ensuite travaillé pour des ateliers de confection privés. Au bout de 6 mois, je suis entrée dans une usine de chaussures à Bien Hoa où je gagnais 680 000 VND/mois.
J’ai réussi à trouver un emploi comme ouvrière à l’usine Nike en 2004. Je travaille du lundi au samedi de 8 h à 18 h sur la chaîne de production, je prépare la colle pour les chaussures. J’ai une pause déjeuner d’une heure et 5 minutes le matin et l’après-midi. Je suis en bout de chaîne, je vérifie que la colle n’a pas coulé, sinon, je retire le superflu avec une machine. Il se peut que la colle provoque des allergies sur la peau. Mais à part ça, je n’ai pas de problème de santé. On fabrique entre 1000 et 2000 chaussures par jour. Je gagne 7 millions de VND par mois (272 euros) et j’ai un 13e mois.
Je dépose mes enfants à l’école avant d’aller à l’usine et c’est mon mari ou leur grand-père qui les récupère. Elles sont en demi-pension. Nos deux salaires couvrent les frais de scolarité et de nourriture. Mais on ne parvient pas à économiser. Je ne veux pas que mes filles aient la même vie que moi. Je veux qu’elles fassent des études.
Aller à Saigon ? Sûrement pas ! J’ai un oncle qui vit dans le district 6, c’est une ville étouffante, et la vie est beaucoup plus chère.
J’ai une vie plus heureuse que celle de ma mère qui était paysanne. Les conditions de vie des paysans dans le Nord étaient très difficiles. Lorsqu’il fallait repiquer le riz les pieds dans l’eau froide ou qu’une tempête avait détruit toute notre récolte… L’été, il faisait très chaud, je trouvais des poissons morts dans les rivières. J’ai aidé ma mère et j’ai vu à quel point c’était une vie très dure.
J’ai un rôle plus important que mon mari dans la famille. Mon mari est très gentil, il écoute. Mais c’est très différent maintenant. Avant, la femme obéissait à son mari. Aujourd’hui, j’ai un pouvoir de décision que n’avait pas la génération de ma mère. Je suis heureuse de travailler et de gagner mon propre argent.
Vu Thi Hoai Thoa : « Je viens de Hai Duong (2) mais lorsque j’avais 9 ans, mes parents ont décidé de venir s’installer dans le sud pour chercher du travail.
J’ai deux filles de 6 ans et 2 ans. Avec mon mari, nous vivons chez mes parents.
Je suis allée à l’école mais j’ai arrêté avant le bac. Je n’ai pas pu aller à l’université. J’ai suivi des études de comptabilité. Mais je n’ai pas obtenu les résultats requis pour continuer. J’ai suivi un stage dans une usine de confection sud-coréenne et en 2013, je suis entrée à l’usine Nike.
Je commence ma journée à 7 h 30, jusqu’à 16 h 30. Je colle un morceau de plastique protecteur sur le devant de la chaussure. Je porte un masque sanitaire à cause de la poussière et des odeurs. J’ai souvent mal au dos, même si j’ai la possibilité de m’asseoir ou de me lever comme je le souhaite.
Je gagne entre 6 et 7 millions de VND par mois.
Mon mari travaille à l’usine, il amène les petites à l’école et les récupère le soir. Ma petite dernière est en crèche, la crèche de l’usine Nike. Tout ce que je gagne, c’est pour mes enfants.
Bien sûr, je vis mieux que mes parents. Quand nous sommes arrivés dans le sud, ma mère cherchait des crabes ou des escargots d’eau douce pour améliorer notre repas.
Avec mon mari, on partage tout. Nous travaillons tous les deux, je me sens son égale, il n’y a pas de différence entre nous.
Luu Thi Nguyen, vendeuse de rue à Saigon
Luu Thi Nguyen est vendeuse de rue à Hô Chi Minh Ville dans le quartier d’An Phu. Nguyen a installé son chariot ambulant sur une rue très fréquentée. Je la rencontre sur ce trottoir où elle consent à me parler entre deux préparations de jus d’oranges.
« Je suis née en 1982 dans la province de Ha Tay près de Hanoi (1). Mon père était soldat dans l’armée et maman, paysanne. Je suis la seule fille de 5 enfants, j’ai deux grands frères, deux petits frères. J’ai très peu vu mon père pendant mon enfance car il était dans l’armée et toujours en déplacement. Je vivais avec ma mère qui travaillait dans les rizières. Elle était très occupée et elle ne s’intéressait pas aux études de ses enfants. J’ai arrêté l’école en classe de CE1. Je suis alors restée à la maison pour garder mon petit frère quand ma mère travaillait. Je surveillais aussi les buffles et les bœufs. Et souvent, j’aidais ma mère aux champs.
Quand j’ai atteint l’âge de travailler, je voulais trouver un emploi dans une usine mais je n’avais aucune qualification. Je me suis mariée à 24 ans avec un agriculteur d’une commune voisine. A la campagne, on se marie tôt, vers 19-20 ans.
Je suis arrivée à Saigon en juin 2015. J’avais deux frères qui vivaient déjà ici. Je me suis installée dans le district 8 (2) et je vendais des CD. A cette époque, il y avait peu de marchands qui vendaient des jus de fruits dans la rue. Un ami m’a dit que ça pouvait me rapporter plus d’argent.
Je me suis donc installée dans le district 2, à An Phu, comme vendeuse de jus d’oranges et de thé. J’ai acheté ce chariot à une autre vendeuse de rue qui souhaitait repartir à la campagne. Depuis quelques mois, d’autres vendeuses de jus se sont établies sur la même avenue. Chaque jour, j’achète 50 kg d’oranges. Il faut 1 kg d’oranges pour faire un verre de jus sans glaçon. La plupart des gens achètent des jus que je prépare avec beaucoup de glaçons et très sucré. Avec la concurrence, mes revenus peuvent baisser. Cela dépend du tarif du kilo d’oranges. Le verre de jus d’oranges coûte 10 000 VND. Dans les restaurants, il coûte 40 ou 45 000 VND. Je gagne entre 200 000 à 300 000 VND par jour. Mais au moment du Têt et lorsqu’il fait très chaud, en février-mars, les oranges sont très chères. C’est mon frère qui les achète au marché de Binh Dien, dans le district 8. Ces oranges viennent du delta du Mékong.
Tous les jours, je quitte mon logement à 6 h et je suis sur le bord de la route à 6 h 30. J’habite dans un ensemble de chambres qui sont louées aux travailleurs informels comme moi.
C’est le matin que je vends le plus, lorsque les gens vont au travail. Ils s’arrêtent sur leur scooter, souvent ce sont les ouvriers des chantiers de construction, ou des chauffeurs particuliers.
J’ai deux filles qui sont nées en 2006 et en 2012. Elles sont restées à la campagne avec leur père et leur grand-mère paternelle. Quand je suis arrivée, nous sommes venus avec mon mari et ma fille aînée. Et puis, quand ma deuxième fille est née, mon mari est retourné à la campagne avec mes deux enfants pour s’occuper de ses parents qui ont 80 ans aujourd’hui.
Pourquoi je suis venue à Saigon ? Il y a peu de travail à Hanoi, même quand tu es qualifiée. Tout le monde sait qu’il y a plus de travail dans le sud du Vietnam. A Hanoi, on ne s’achète pas du jus d’oranges dans la rue, on le fait soi-même. Et puis je ne connaissais personne dans cette ville alors que j’avais déjà deux de mes frères à Saigon.
Je me suis installée dans le District 2 car il y avait trop de vendeurs dans le D8. Alors qu’ici, ça marche bien. J’ai des clients réguliers qui s’arrêtent tous les jours m’acheter un jus ou une bouteille de jus d’oranges.
Chaque année, je rentre pour le Têt, le nouvel an vietnamien. Je reste un mois à la campagne. C’est le moment où j’aide ma famille pour le repiquage du riz dans les champs. L’année dernière, j’ai fait venir mes filles. Elles ont adoré ! A 12 ans et 6 ans, elles sont venues en bus avec couchettes, accompagné d’un cousin. Elles connaissaient aussi parfaitement le chauffeur de bus qui veillait sur elles. Mais je ne peux pas les faire venir chaque année, ça me coûte trop cher.
Bien sûr, ma famille me manque mais je n’ai pas le choix ; je n’ai pas d’instruction. Mais je ne me plains pas, mon travail n’est pas difficile. Je ne porte pas des choses lourdes.
Dès que je mets de l’argent de côté, je l’envoie à ma famille. Mes deux filles vont à l’école publique. Ce que j’envoie couvre les frais de scolarité. Avant, l’école publique était gratuite au Vietnam. Maintenant, il faut payer l’école et les frais de cantine.
Chez moi, je consomme peu d’eau et d’électricité parce que je suis toute la journée à l’extérieur et je rentre tard le soir. J’économise autant que possible.
Quand je suis malade ? Je n’ai aucune assurance santé ni pour moi, ni pour mes enfants. Il m’est arrivé d’avoir très mal au dos, je suis allée chez le médecin, j’ai payé 800 000 VND (31 euros) la consultation et les médicaments. C’est énorme, je ne peux pas me permettre de tomber malade, alors je pratique l’automédication.
Si j’avais plus d’argent, je ferais en sorte que mes enfants puissent aller à l’école pour étudier le plus longtemps possible. Je ne veux pas que mes filles fassent ce que je fais ou se retrouvent en difficulté ; ma fille aînée travaille bien. Elle a reçu un prix de littérature dernièrement. J’espère qu’elle pourra étudier le plus longtemps possible.
La famille m’exhorte à avoir un fils car c’est important d’avoir un garçon au Vietnam. J’ai déjà assez de difficultés à subvenir aux besoins de mes deux filles ! Je ne peux pas me permettre d’avoir une autre bouche à nourrir. »
Ha Tay : ancienne province de l’ouest de Hanoi, aujourd’hui rattachée à Hanoi, souvent surnommée Hanoi 2. Le chef-lieu de Ha Tay est Ha Dong, connu pour son fameux village de la soie Van Phuc.
District 8 : quartier populaire et pauvre de Saigon.
NB : Les entretiens ont été réalisés en vietnamien et traduits par la journaliste Huyen Dao.
Voir plus d’œuvres de l’exposition « Portraits de Femmes »
- À la dérive – Nguyen Vinh Anh Khoa
- Aperçu – Nguyễn Ngọc Hải
- Au marché de poissons Vinh Hien – Do Minh Hoang
- Au passage du marché Dong Ba – Nguyen Ngoc Duy
- Elles – Nguyen Duc Hung
- Femmes et les fleurs en papier de Thanh Tien – Nguyen Dinh Chien
- Les dames du quartier Bo Ho – Nguyen Anh Tuan
- Loin de la vie sur scène – La Khac Khue
- Madame Dau – Nguyen Kim Nhi
- Madame Quyen – Nguyen Thi Thuy Tran
- Mamie – Nguyen Manh Quan
- Pagode Hien Luong – Le Thi Mong Thu
- Première année à l’école d’archi – Nguyen Trung Tin
- Ta fille, – Tran Vu Minh Phuc
- The breath of dance – Le Dang Ngoc Bich