Linh-Dan Pham comédienne franco-vietnamienne
Le cinéma lui a ouvert les bras très tôt : à 17 ans, Linh-Dan Pham joue son premier rôle. Un premier grand rôle, celui de Camille, la fille adoptive de Catherine Deneuve dans Indochine et qui lui vaut une nomination pour le César du Meilleur espoir féminin. Mais il faudra encore quelques années à Linh-Dan Pham pour accepter ce qui lui sied et ce pour quoi elle vit chaque jour. De culture française et vietnamienne, elle a cette force et cette agilité qui la font s’adapter et se fondre dans l’univers de tous les réalisateurs qu’elle a croisés sur sa route. Le cinéma, aujourd’hui, est une évidence pour cette actrice discrète et instinctive.
« C’était un soir de 1991. Je venais tourner Indochine. Mon père et moi venions d’atterrir à Hô Chi Minh Ville, qui portait encore le nom de Saigon la dernière fois qu’il avait arpenté ses rues en 1975. Nous nous dirigions vers la maison de ma tante, la sœur de mon père. Il ne l’avait pas prévenue de peur de la mettre dans l’embarras. A mesure que nous roulions, il retrouvait ces lieux où il avait vécu, où il avait rencontré ma mère, où il avait ses habitudes. Il était submergé par ses émotions. Nous sommes arrivés en fin d’après-midi devant son ancienne maison, dans le district 1. Mon père a sonné. Ma tante a demandé qui cela pouvait bien être, à cette heure-ci…
« C’est moi, ton frère. »
« Non, c’est impossible, mon frère est en France. »
Elle était sidérée en ouvrant la porte. Elle m’avait vu naître mais ne m’avait pas vu grandir. Seize années s’étaient écoulées et le Vietnam n’était plus celui que nous avions quitté. C’était la première fois que je revenais et c’est le premier souvenir de mon pays natal.
Mes parents sont arrivés en France avec un statut de réfugiés. Très vite, ils ont été naturalisés français. Nous retrouvions mon oncle, qui faisait des études de médecine à Paris. C’est lui qui nous a hébergés pendant quelques temps dans son petit studio où nous vivions entassés à 5 ou 6. Ma mère a commencé par effectuer des petits boulots. Elle a trouvé un emploi dans une banque et elle a gravi les échelons. Elle avait suivi sa scolarité au lycée français Marie Curie à Saigon (elle était francophone) et avait ensuite effectué des études de commerce en Suisse.
Mon père, lui, venait d’obtenir un diplôme d’architecture au Vietnam. Il a trouvé un emploi dans un cabinet d’architectes en France.
Nous nous sommes installés à Clichy, puis nous avons déménagé régulièrement au fur et à mesure que notre situation financière s’améliorait, en passant par Bagneux, Aubervilliers et finalement Issy-Les-Moulineaux.
Ma famille était plutôt occidentalisée. Ma mère avait déjà voyagé, mes parents n’étaient pas totalement étrangers à la culture française. De mon côté, je me suis intégrée simplement mais je me rappelle, lorsque nous vivions à Aubervilliers, qu’il y avait très peu d’Asiatiques. Nous étions deux seulement dans ma classe. J’ai grandi dans les banlieues d’immigrés, mes amies étaient algériennes, marocaines et noires… Nous étions tous des immigrés mais nous étions aussi tous français. Jamais je n’ai ressenti un quelconque racisme.
A la maison, nous parlions vietnamien. C’était difficile pour un enfant de parler une langue à la maison et une autre à l’école. Aujourd’hui, je remercie mes parents d’avoir conservé ma langue natale. Ce qui me semblait très vietnamien finalement, par rapport à mes amies, c’était que je ne pouvais pas sortir le soir. Même adolescente. Je rentrais quand la fête commençait ! Finalement, on finissait par ne plus m’inviter.
Ma vie était assez simple : elle se partageait entre, d’un côté l’école, et de l’autre, ma famille. Tous les week-ends, nous les passions avec les oncles, les tantes, les cousins etc. Nous préparions de grands repas vietnamiens. Le lundi, je retournais à l’école dans un univers francophone et français.
J’ai eu une scolarité exemplaire. Mes parents étaient très exigeants comme tous les parents vietnamiens. Ce qui me rendait dingue, c’était que si je rentrais avec une bonne note, ce n’était pas encore assez si ce n’était pas la meilleure. Mais j’étais un bon petit soldat, par nature et par mon éducation.
Jusqu’à cette opportunité incroyable qu’a été le tournage du film Indochine. Un jour où nous nous rendions dans un restaurant du XIIIe arrondissement de Paris, mon père repère une annonce à moitié déchirée sur la porte : « Cherche jeune fille vietnamienne pour jouer avec Catherine Deneuve au Vietnam ». C’est un grand cinéphile ; il prend le numéro et me demande d’appeler. Ce que je ne fais pas. J’en discute avec une amie qui me presse d’appeler. Moi, je ne voyais pas l’intérêt. Elle prend rendez-vous pour moi. Je vais au casting, on me filme 5 minutes, je ne suis pas satisfaite de moi et puis plus rien pendant deux mois. Jusqu’à ce coup de fil où l’on me dit que Régis Wargnier, le réalisateur, a vu mes essais et veut me rencontrer. Et moi, avec un aplomb incroyable, je réponds : « désolée, je ne suis pas disponible. Nous partons en vacances puis je pars vivre aux Pays-Bas (ma mère avait obtenu un poste à La Haye). » Et je raccroche ! Heureusement, nous avions laissé le répondeur. A notre retour, un message avec un numéro pour appeler l’équipe du film qui insistait. J’y suis allée, accompagnée de mon père et de ma grand-mère. Régis me parle longuement et me fait jouer la scène où Camille, la fille adoptive de Catherine Deneuve, quitte cette dernière. J’étais dans le rôle, je vivais la scène mais je n’ai pas compris comment j’avais fait. Régis était satisfait. Entre temps, l’équipe avait casté ma grand-mère pour jouer la meilleure amie de Catherine Deneuve et elle a eu le rôle !
Le tournage ? C’était un peu comme une colonie de vacances. Tout le monde était aux petits soins avec moi. Nous avons tourné en baie d’Along et à Ninh Binh, puis en Malaisie. J’étais en première, hors de question d’arrêter le lycée. J’avais un tuteur, je tournais la journée, je faisais mes devoirs le soir. C’était compliqué, surtout quand on a un rôle aussi important. Mais j’étais disciplinée. J’ai passé mon bac de français à Singapour. L’année scolaire a été rock’n roll !
Et puis, il y a eu la nomination au César du Meilleur espoir féminin. Je ne suis pas allée à la cérémonie car j’étais en tournage. Catherine Deneuve a obtenu le César de la meilleure actrice et le film a remporté l’Oscar du Meilleur film étranger aux États-Unis, où j’ai répondu à plusieurs demandes d’interviews. Indochine a eu un fort retentissement dans le monde. Je savais que, d’une manière générale, la diaspora vietnamienne était heureuse que ce soit une Vietnamienne qui joue le rôle de Camille. Mais je ne voulais pas devenir l’étendard du rayonnement asiatique dans le milieu du cinéma après ce rôle important. Je n’avais pas l’envie ni les épaules pour ça.
Je suis rentrée à la maison, j’ai retrouvé une vie normale et je ne pouvais toujours pas sortir. C’était l’année du bac.
Je n’étais pas dans la nostalgie du tournage et je ne souhaitais pas en faire mon métier mais j’ai quand même pris un agent. Alors que j’entamais des études de médecine, il a repéré un tournage au Vietnam pour lequel j’ai été engagée ; j’y suis restée 6 mois. J’ai abandonné la médecine mais comme j’avais l’obligation d’avoir un diplôme à la demande de mes parents, je me suis dirigée vers une école de business administration à Paris et je suis partie travailler au Vietnam en 1997 où j’ai occupé un poste de chef marketing pour une marque de spiritueux. Ma tante était à Hô Chi Minh Ville, mon père y avait ouvert un cabinet d’architecte, j’avais reconstitué un petit noyau familial. Je n’ai pas cherché à retrouver mes racines, je n’étais pas en quête d’identité. J’ai rencontré beaucoup de Viêt-Kieu américains qui, eux, étaient dans cette recherche. Ils ne parlaient pas vietnamien. Ils voulaient renouer avec leurs origines. Je n’avais pas ces questionnements ; mais j’étais consciente que c’était un pays dans lequel je n’avais pas grandi.
J’ai appris, en travaillant, à m’exprimer de manière moins frontale. Au Vietnam, il y a une manière plus nuancée de dire les choses. Je m’efforçais aussi de correspondre davantage à l’image de la femme telle qu’elle doit se comporter dans la société vietnamienne, plus douce, moins directe. J’évoluais dans un univers très masculin. Dans ma position hiérarchique, il fallait être diplomate avec les hommes !
J’ai enchaîné avec un autre poste, toujours dans le marketing, à Singapour de 1999 à 2001. Mais je ne me sentais pas à ma place dans cet univers. J’ai réalisé que je voulais être comédienne. La décision a été difficile à prendre mais j’ai suivi mon instinct. Je suis partie en juillet 2001 à New-York, je me suis inscrite aux cours du Lee Strasberg Theatre and Film Institute. J’y suis restée trois ans.
En revenant en France, j’ai rejoint l’agence Adéquat. En 2005, j’ai décroché un rôle dans Les Mauvais Joueurs de Frédéric Balekdjian, puis j’ai enchaîné avec De battre mon cœur s’est arrêté, un film de Jacques Audiard avec Romain Duris. Je voulais tellement ce rôle ! J’ai décroché le César du Meilleur espoir féminin, treize ans après ma première nomination. C’était le plus beau jour de ma vie professionnelle. Jacques m’a souri simplement et m’a embrassée. Mais soudainement, je me suis sentie très seule ; j’avais l’humilité de la débutante et de l’immigrée. Une Vietnamienne nommée aux Césars, c’est rarissime. Je n’avais rien préparé parce que je n’y croyais pas. J’étais sur cette scène devant un parterre prestigieux et je ne me sentais pas faire partie de cette famille du cinéma. J’étais l’outsider. Mon agent m’a dit : « Profites-en ! Ça ne dure qu’un an. » J’ai eu peu de retombées médiatiques en France. Je ne sais pas pourquoi. Pourtant, c’était la confirmation que j’avais fait le bon choix, la profession me reconnaissait comme une actrice à part entière.
J’avais toujours refusé des rôles de femmes asiatiques stéréotypées, belles, mutiques et soumises. Mais ce film m’a confortée dans mes choix artistiques.
J’ai poursuivi ma carrière avec de très beaux films comme Le Bal des Actrices, de Maïwenn, en 2009. J’avais beaucoup aimé son premier film, Pardonnez-moi. J’apprécie sa direction d’acteurs à qui elle donne toute sa confiance. Elle laisse une large place à l’improvisation. Nous avons parlé de ses origines vietnamiennes. J’aime ses films qui reflètent la réalité de la société française avec ses Blacks, Beurs, Asiatiques, Blancs… Ce rôle a été important dans ma carrière.
La même année, j’ai tourné Vertiges, du réalisateur vietnamien Bui Thac Chuyen. J’étais très à l’écoute des tournages au Vietnam, je souhaitais refaire un film là-bas. Il m’a contactée personnellement et j’ai adoré le scénario. Je voulais jouer Câm, cette écrivaine isolée, presque mutique. Je la voyais comme une Madame de Merteuil (1). Le film aborde l’homosexualité, la société matriarcale vietnamienne et ses contraintes… Il a été distribué au Vietnam où il a fait débat. Mais j’ai eu beaucoup de messages, d’hommes et de femmes, me remerciant pour ce rôle dans lequel ils se retrouvaient. Vertiges a fait un bon résultat au box-office pour un film d’auteur au Vietnam. Il a été sélectionné à la Mostra de Venise.
Aujourd’hui, je suis toujours à l’écoute des tournages de films d’auteur au Vietnam. Il y a beaucoup de réalisateurs Viêt-Kieu américains qui sont revenus au pays, qui tournent et qui produisent leur propre film. Je suis attentive également à des jeunes réalisateurs vietnamiens qui émergent comme Phan Gia Nhat Linh : j’aime beaucoup sa direction d’acteurs et son univers, toujours décalé. Je suis aussi attentivement le travail d’Ash Mayfair qui a réalisé The Third Wife, pour lequel elle m’avait contactée mais je n’étais pas disponible. Le film a été sélectionné dans plusieurs festivals.
J’ai toujours eu la chance de travailler avec des personnes très talentueuses, sans tourner dans les grosses machines commerciales. Je travaille à l’instinct. Mon prochain film, Blue Bayou, sortira en 2021. Inspiré d’une histoire vraie, il est réalisé par Justin Chon, un réalisateur américano-coréen également acteur. Il joue le rôle principal dans le film qui raconte le parcours d’un enfant américain d’origine coréenne, adopté par une famille aux États-Unis, mais qui sera déporté en Corée du Sud.
Je ne suis pas retournée au Vietnam depuis la célébration du millénaire de Hanoi en 2010. Je le regrette profondément mais j’ai des contraintes professionnelles qui ne me le permettent pas pour l’instant. Je vis entre Londres et Paris mais je n’exclus pas de revenir au Vietnam pour m’y installer dans un futur proche ou plus lointain.
Personnage du roman épistolaire Les Liaisons dangereuses de Pierre Choderlos de Laclos publié en France au XVIIIe siècle.
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